Un commissaire en quête… (open PdL 2019)

Les secondes défilent sous mes yeux sur le cadran impitoyable du chronomètre. J’ai pressé la détente
et pendant quatre minutes je deviens le gardien du temps. C’est fou comme il passe vite quand on
l’observe. Trop vite parfois. A se demander s’il ne lui arrive pas d’accélérer durant la dernière minute,
le salaud ! J’ai envie de crier : « Accélérez ! ». Ma main droite effleure le redoutable drapeau jaune
que je devrai lever si l’un ou l’autre compétiteur dépasse la limite fatale des deux cent quarante
secondes. Dans leur dos comme un traitre je devrai porter ce coup fatal à leur performance aussi
brillante soit elle. Face à moi, comme à l’extrémité d’un long couloir, le juge central. Imposante figure
qui attend de moi la même impartialité qu’il se doit de respecter vis-à-vis de celles et ceux qui s’en
remettent à son jugement et à celui des deux autres arbitres pour déterminer l’issue de
l’affrontement symbolique. Oui mais moi je n’ai pas envie de le lever ce drapeau ! Et pourtant… je l’ai
fait. Une fois seulement après avoir été toujours soulagé de ne pas avoir à le faire. Je l’ai fait parce
qu’il le fallait. Parce que je m’y étais engagé. Sur la limite, heureusement. Pas de pénalité mais une
expérience nouvelle pour moi. Joueur et auteur de jeux je sais pourtant ce que perdre signifie et ce
que cela apprend sur soi-même et sur sa relation aux autres. Mais là, avoir le sentiment d’être
l’instrument involontaire de l’échec dans un jeu auquel on ne joue pas soi même… On n’a jamais fini
d’apprendre quand on continue à le vouloir. Merci à vous qui m’avez fait vivre ces moments intenses.
Je ne peux m’empêcher de rendre hommage à tous ces pieds qui ont défilé devant nous
commissaires de tables. Nous en avons vu des pieds ! Plus encore peut-être que les juges qui en
contrepartie ont vu tant de choses qui nous ont échappées. Oui, nous en avons vu des pieds. Des
pieds qui trainent, qui raclent, qui disparaissent et réapparaissent subitement de sous le hakama
protecteur ou conspirateur ! Des pieds qui exposent leurs semelles naturelles le temps d’un salut.
Des petits, des gros, des calleux, des gracieux, des tordus malgré eux, des pieds qui avancent et qui
reculent. Rebelles ou disciplinés ils auront sans doute parfois été les instruments de la victoire ou de
la défaite de leurs propriétaires. Mais qu’est-ce que ce pied qui semble vouloir fuir sur le côté alors
qu’il devrait suivre la manœuvre et coopérer avec celui de devant pour que le sabre là haut puisse
mieux couper ou piquer cet adversaire invisible mais que l’on devine. Les miens au chaud dans leurs
chaussettes, paresseux à l’abri de la table des commissaires vous saluent pour vos performances et
les souffrances que vous avez endurées. O’ pieds soyez remerciés à votre juste valeur ou maudits si
vous avez trahis celle ou celui que vous portez !

Si j’avais encore un doute sur le fait que le iaido est bien plus qu’un sport, le silence respectueux qui
accompagnait chaque démonstration et les multiples saluts sincères bien que protocolaires échangés
par tous m’en auraient convaincu. Le fait aussi sans doute de n’avoir jamais entendu un « aux
chiottes l’arbitre » même si on ne sait jamais ce qui se hurle peut-être dans l’esprit insondable d’un
perdant qui se contrôle. Il y a bien les médailles… j’allais dire les « breloques » preuve que je n’ai pas
encore corrigé mon esprit réfractaire à toute forme de distinction rutilante qu’on se laisse pendre
autour du cou ou épingler sur la poitrine. Pourtant… j’ai été sensible au plaisir que chaque vainqueur
semblait trouver à recevoir la sienne. Voire même une deuxième venant tinter joyeusement contre la
première comme la note initiale d’une ode à la victoire qui par modestie se retiendrait finalement de
résonner plus avant. J’ai été touché par votre joie d’une fierté très modeste. Plus encore peut-être
par la joie sincère que les perdants ont exprimée pour célébrer votre victoire. Non, définitivement le
iaido est plus qu’un sport. Et je suis heureux de le pratiquer.

Il est un peu plus de 19h30. Nous sommes rassemblés entre membres du Suishinkai sous un abribus
pour évoquer les bons moments de cette journée avant de se séparer…
« Merci d’être venu Fred ». Merci à vous de la confiance que vous m’avez accordée. « Alors ? Cela t’a
donné envie de faire de la compét’ ? ». Non, ce n’est pas mon truc mais j’aimerais à nouveau vivre
l’expérience de commissaire de table. Ce n’est pas mon truc et cela ne l’a jamais été. Mais
assurément mon regard a évolué. Ce qui me ramène à mon titre « Un commissaire en quête… ». Je
ne sais pas encore vraiment en quête de quoi mais je me laisse la surprise d’en découvrir un peu plus
la prochaine fois. Pourquoi pas au championnat de France ?
Un dernier mot pour remercier les organisateurs de cet open pour leur sympathique accueil et leur
disponibilité pour éveiller un ignorant comme moi aux subtilités du rôle de commissaire de table. La
prochaine fois j’oserai m’occuper du tableau.

Fred